Le Journal l’Antonnien a rencontré le Père Djadji pour un interview sur le Document du Vatican : Fiducia supplicans

Père Marius Hervé Djadji est prêtre du diocèse de Yopougon, curé de paroisse, professeur de théologie, formateur et écrivain. Nous l’avons rencontré pour un balbutiement comme il aime si bien le dire.

Bonjour mon Père : après la fête de Noël quel est votre sentiment entre les églises pleines et les réactions au sujet du document du Vatican ?

Joyeux Noël. C’est d’abord normal. Mais surtout cela démontre de la maturité du peuple de Dieu. Le peuple de Dieu est libre de s’exprimer, de donner son avis en restant fidèle dans sa foi au Dieu trinitaire, fidèle à l’Eglise, au saint Père et aux évêques. Donc tous ceux qui pensaient que les églises seront violentées ont tappé poteau. Rires.

Depuis la sortie du document, nous avons lu vos réflexions. Nous trouvons de la sérénité, du calme. Pourquoi cette attitude ?

C’est simplement la foi. Dans nos églises, des fidèles jeûnent, prient, des groupes font des milliers de Rosaire, il y a des milliers de célébrations eucharistiques par jour. Donc pourquoi je vais paniquer. Si je panique c’est que je ne crois pas en tous ces actes spirituels et liturgiques qui montrent la foi du peuple de Dieu. Chaque fois qu’il y a des petites incompréhensions, il ne faut pas oublier que l’Eglise n’est pas une association quelconque c’est l’assemblée de ceux qui ont répondu à l’appel de Dieu, l’ecclesia.

Soyez plus explicites mon père ?

Beaucoup pensent que Satan est en action, l’Eglise est perdue. Face à cela moi je reste calme. Parce que devant un fait, il ne faut pas d’abord donner le privilège à Satan. Il ne faut pas d’abord tout attribuer à Satan, même s’il peut être en action, il faut d’abord regarder Dieu. En voulant voir la main de Satan, on peut dire qu’il est au-dessus de nos nombreuses prières que nous adressons à Dieu pour son Eglise et pour tout le peuple de Dieu, pour le pape et les évêques.
Devant des situations difficiles, il peut avoir la main de Dieu. Dans cette situation, il faut aussi voir Dieu qui nous parle et qui nous interpelle, qui met chaque fidèle du Christ, clercs comme laïcs devant sa responsabilité de baptisé. Dieu veut peser notre foi. Dieu nous expose à travers ce document que tout n’est pas calme et ne sera pas calme.

Que dites-vous du document ?

Mon rôle en tant que pasteur et théologien c’est de donner aux fidèles les clés de compréhension du document pour pouvoir dire oui ou non.
Parce que quand tu refuses ou tu acceptes quelque chose il faut des arguments. Ce document nous invite aussi à la formation des fidèles, surtout nous qui avions pour habitude d’analyser les déclarations du Vatican.

Comment comprendre un document de l’Eglise ?

Devant un Document, il faut d’abord voir le statut du document, on regarde si c’est un document qui oblige de facto, ou si c’est un document ouvert à l’appréciation pastorale. On regarde le contexte dans lequel le document a été écrit. Quel est l’environnement religieux, le contexte sociétal, le contexte théologique? Ensuite on regarde la partie doctrinale du document pour voir si le Document est en conformité avec la Bible et la tradition de l’Eglise.
Dans une autre partie, on regarde la nouveauté de l’enseignement du document, et est-ce que cette nouveauté remet en cause l’enseignement traditionnel de l’Eglise ? Même si le Document propose des perspectives pastorales, est-ce que ces perspectives remettent en cause la Bible et l’enseignement de L’Eglise ?
Donc un document de l’Eglise s’étudie. Un seul mot dans une déclaration peut éclairer ou remettre en cause le document.

Quelle orientation donnez-vous aux fidèles qui veulent comprendre le document ?

Comme je l’ai déjà dit dans mes précédentes interventions, l’introduction du document, par le mot possibilité, et le message porté, cela montre que c’est un document qui n’est pas de facto contraignant. Donc les Conférences épiscopales, selon leur contexte pastoral peuvent donner un avis.
Au niveau doctrinal, l’enseignement de l’Eglise sur le mariage est maintenu.
Au niveau de la nouveauté, c’est l’élargissement de la bénédiction aux unions irrégulières comme les couples de même sexe, qui est un enseignement nouveau. Dans le message du document, il y a des forces et des faiblesses.

Pouvez-vous relever les forces et les faiblesses du Document ?

Il faut savoir qu’il y a des millions de catholiques qui souffrent dans des unions irrégulières. Faut-il éternellement les condamner?
Beaucoup, sans faute de leur part, d’autres de manière génétique, ou du fait de certaines circonstances, vivent dans des unions ou ont choisi certaines unions. Le document en mettant en évidence la bénédiction descendante de Dieu qui s’étend à tout le monde, porte un message qui prend en compte ces frères et sœurs. C’est une des forces de ce document.

Au niveau des limites, dans la solution proposée, le document n’a pas pris en compte toutes les sensibilités culturelles, le document fait une proposition qui peut créer la confusion dans le sens de la reconnaissance de ces unions. La proposition du document, tout en montrant la miséricorde de Dieu fait un dépassement de l’enseignement traditionnel de la Bible et de la Tradition de l’Eglise sur les unions irrégulières. Donc il y a beaucoup de limites qu’on peut relever dans le document.

Mon père jusque-là vous nous donnez des pistes de réflexion. Mais quel est votre avis personnel ?

Rire. Mon avis est personnel. Je suis chrétien, prêtre et théologien. Je n’enseigne pas mon avis. C’est la position de l’Eglise que j’enseigne et c’est cette position qui oriente mon avis. Ici le document a donné une orientation pastorale. J’attends la décision de mon diocèse Yopougon et celle du diocèse dans lequel je suis en mission.
Un Prêtre n’est pas un électron libre, il est dans une Eglise. C’est cela le vœux d’obéissance puisqu’on sait qu’avec l’aide de Dieu et la prière de tous les fidèles, l’Eglise ne se trompera pas. Sinon si on veut prêcher nos avis, nous ne serons plus en Église. C’est ce que nous disons dans le Credo : je crois en L’Eglise. Donc je crois que l’Eglise ne va pas dévier parce que la tête invisible de l’Eglise c’est le Christ, et l’Eglise a pour boussole le Saint Esprit. Donc la barque peut tanguer mais, le Christ dira à la tempête : silence et tout sera calme.

A votre avis, dans ce texte le Dicastere s’est trompé ?

Je ne dirai pas qu’un Dicastere s’est trompé. Je dirai que le Dicastere a publié une Déclaration qui a besoin d’être enrichie avec les réactions. Une déclaration peut susciter des malentendus théologiques et pastoraux. C’est le propre des Déclarations.
Elles suscitent des débats, souvent des incompréhensions. Quand on étudie par exemple les Déclarations au niveau des dialogues avec d’autres religions, on les modifie, on les retouche, on decouvre des incompréhensions et on réagit. Parce qu’on tient compte de la réception de la Déclaration. Comment le peuple de Dieu se situe par rapport à la Déclaration ? Comment les pasteurs reçoivent cette Déclaration ?
Le Vatican tient compte de cela.

Vous dites que vous ne donnez pas d’avis personnel alors que des Cardinaux donnent leur avis? Est-ce qu’en ce moment ce ne sont pas les forts qui réagissent?

D’abord je ne suis pas un Cardinal, je ne suis pas évêque. Et puis actuellement on n’a pas besoin de forts. Nous ne sommes pas sur un un ring ou en politique. Et nous ne cherchons pas des fans. Parce que les gens aiment réfléchir en terme de forts et de faibles. C’est ce qui engendre la guerre dans les pays. Il faut réfléchir en terme de mission quand on est chrétien catholique. Que dois-je apporter comme baptisé à mon humble niveau à mon Eglise ?
Qu’est que je dois dire à la catéchèse, en famille entre amis, à des collègues?

Mon père qu’est-ce que les chrétiens doivent dire ?

Il faut simplement montrer dans vos échanges que dans l’Eglise, il y a des millions de chrétiens qui sont dans les unions irrégulières comme les personnes homosexuelles. Quel doit être le regard de l’Eglise envers ces chrétiens ?
C’est en cela le document propose une solution qu’est la bénédiction.
Mais cette proposition pose un problème d’un point de vue biblique et de l’enseignement de L’Eglise et du point de vue de la loi naturelle. C’est pourquoi des évêques, des prêtres, évêques et laïcs réagissent parce qu’il y a tendance à encourager et petit à petit à aller vers la proposition d’un sacrement. Mais le document n’impose rien.

Mon Père qu’est ce que vous proposez ?

Ma première réaction dans cette affaire, c’est la proposition d’un concile œcuménique. En effet, il faut dire la vérité, aujourd’hui, il y a beaucoup de questions auxquelles l’Eglise doit donner un enseignement claire ou réaffirmer clairement sa doctrine devant tous ceux qui de l’intérieur proposent autres choses.
Il y a les questions de l’ordination des personnes mariées, l’ordination des femmes, la question du mariage des prêtres, la question de la bénédiction des unions irrégulières, la question des transgenres et de l’intelligence artificielle.
Il y a les questions de la place des laïcs dans l’Eglise parce que jusqu’à présent l’enseignement du concile Vatican II n’a pas encore été bien compris dans plusieurs Églises locales. Il y a les questions de gestion de paroisses, la question du statut claire des communautés nouvelles et de leurs responsables au niveau théologique et canonique.
Au niveau géopolitique, le monde bouge avec les guerres en Ukraine et dans le Sahel. Une autre carte du monde se redessine au niveau politique, militaire et économique. Des peuples réclament leur auto-determination. Tout cela impacte les chrétiens. Que dit L’Eglise ? Quelle est la place de l’Eglise ? Quelle Eglise dans ce monde en mutation ? Quelle Eglise dans ce monde aujourd’hui ?

Quand on analyse les réactions qu’a suscité ce document du Vatican, il est important qu’il y ait un concile œcuménique pour donner un enseignement qui s’imposera à tous. Un concile œcuménique est l’expression de la participation de tout le peuple de Dieu à la vie de l’Eglise sous l’autorité du Pape. Il ne faut pas tergiverser. Les 21 conciles se sont tenus dans les mêmes contextes. Aujourd’hui c’est la première fois depuis le concile Vatican II que plusieurs Conférences Épiscopales ne reçoivent pas un message d’un Dicastere. Il faut prendre cela en compte. Il ne faut pas fermer les yeux. Dieu ne peut pas nous sauver sans nous.

Mais de manière concrète, mon Père qu’est-ce que le Document pouvait dire sur ces unions?

On pouvait parler de prier avec eux et de prier pour eux. C’est une proposition.

Quel est votre mot de fin?

C’est le temps de Noël. Dieu est avec nous, il est avec tout le monde et il veut être avec tout le monde sans distinction. Mais est-ce que dans notre état nous sommes prêts à être avec Dieu ?

Voilà pourquoi j’invite tout le peuple de Dieu au calme, à la prière. L’Eglise ne doit pas oublier tous ses enfants qui ploient sous le poids de l’exclusion, l’Eglise doit leur proposer un canal d’accompagnement pour les aider dans la dynamique de la miséricorde et de la conversion. Car nous sommes tous des pécheurs.

Mais l’Eglise doit être claire dans ses décisions même au niveau pastoral dans notre monde de confusion et de relativisme. C’est le monde qui doit suivre l’Evangile et non l’Evangile qui doit être modifié à cause des médias et de la mode.

Merci bien et joyeux Noël

NB : pour contacter le P. Djadji et pour participer aux formations théologiques et doctrinales en ligne: lajoiedeprier.nguessan@yahoo.fr