L’Afrique est-elle déconstruite du fait du Christianisme et de l’islam ?

Tentative d’une réponse par un laïc en formation théologique à l’EFTL :

J’ai écouté un audio TikTok où l’auteur affirme ce qui suit : « un peuple pour se construire se fonde sur six principes fondamentaux, à savoir : ses théories, sa culture, son idéologie, son paradigme, ses concepts,5 son histoire. C’est ça qui fait en sorte que même après dix mille ans, le Chinois reste Chinois, l’Indien reste Indien, L’Arabe reste Arabe, l’Occidental demeure Occidental. Ils le sont par leur culture, leur spiritualité, leurs langues, leur tradition, leur histoire, leurs théories, leur croyance, leurs concepts et aussi et surtout par leurs ancêtres à qui ils s’y attachent et célèbrent. Quant à nous, Africains, en cinq cents ans seulement, nous sommes devenus Arabes, Occidentaux, Chinois, Indiens… On veut vivre dans la peau de tout le monde. Sauf dans notre propre peau. Notre culture se perd, nos traditions disparaissent, nos ancêtres sont reniés et oubliés, nos langues meurent, notre histoire est falsifiée, notre spiritualité est diabolisée, nous avons perdu nos racines, nous avons perdu notre identité. Cette pauvreté d’esprit contribue à nous rendre financièrement pauvres. Nous sommes égarés physiquement, psychologiquement, intellectuellement, culturellement, économiquement. Nos dirigeants sont égarés, nos intellectuels sont égarés, nos parents sont égarés, les enseignants sont égarés, le peuple est égaré. Qui va alors nous sauver ? »
La théologie est un discours sur les choses divines, et la vraie théologie, selon les théologiens Clément et Origène, est celle qui s’intéresse au Dieu des chrétiens, au Père, au Fils et à l’Esprit Saint. Dans ce sens, la théologie ne déconstruit pas les sociétés, mais les amène à mieux connaitre et aimer Dieu.
Cependant, avec la colonisation, les missionnaires ont développé la théologie du salut des infidèles, une théologie de la table rase qui considère les Africains comme des peuples sans : « sans âme, sans culture, sans intelligence, sans Dieu, sans salut » auxquels il faut apporter le salut.
Face à cette théologie, il s’est développé une théologie africaine avec différents courants comme la théologie de l’adaptation qui se fonde sur le mystère de l’incarnation : le Christ s’est fait chair de la Vierge Marie pour notre salut. Le Christ est né dans une culture donnée et a enseigné dans cette culture sans faire la table rase.
De l’adaptation, on est parvenu à la théologie de l’inculturation qui promeut l’incarnation, l’implantation de l’Église dans la culture africaine. L’Église ne doit pas rejeter une culture en s’implantant, mais elle doit s’implanter ou s’incarner dans la culture africaine en prenant en compte la dignité de l’Africain, son salut et son développement intégral.
D’ailleurs, l’histoire de tous les peuples s’inscrit dans la dynamique sociale. Même l’Occident comme les pays arabes et la Chine ont connu des évolutions culturelles. En Chine, on a connu la révolution culturelle en 1966 de Mao Zedond pour refonder le pays et le conduire à la croissance connue aujourd’hui.
Le théologien Père Bimwenyi Kweschi dans sa thèse « Discours théologique négro-africains. Problèmes de fondements » établi que le christianisme n’est pas une religion occidentale. Pour lui, il existe deux pôles dans le croire : (I) le pôle théique où de manière verticale Dieu, dans son unicité et sa souveraineté, communique sa grâce, (II) le pôle andrique par lequel de manière horizontale tout homme, dans son identité et sa spécificité, accueille la grâce communiquée par Dieu.
De ce fait, Dieu dans le Christianisme s’adresse à tous les hommes créés à son image et à sa ressemblance et chaque homme accueille la grâce selon ce qu’il est ; sa culture. La foi a été transmise en Afrique par l’Occident. Mais, cela ne fait pas du Christianisme une religion occidentale. Par l’inculturation, la foi s’implante, s’incarne dans la culture africaine. Il n’y a donc pas d’opposition, mais une interpénétration.

Par rapport aux ancêtres, reconnaissons que dans toutes les cultures africaines, on retrouve la notion de l’ancêtre. Car les africains sont naturellement religieux et croient en l’existence de l’univers invisible qui est l’espace des dieux, des esprits, des ancêtres, des génies et des sorciers.
Parallèlement, les Chrétiens croient en Jésus qui est vrai Dieu et vrai homme : il a de ce fait des ancêtres.
Les Africains comme le Christ et les Chrétiens ont des ancêtres, car pour tous les peuples, « il n’y a donc pas de génération spontanée. »
Parlant de ce fait des ancêtres, la Bible n’interdit pas à un peuple de faire référence à ses ancêtres. Cependant, la Bible interdit d’invoquer les ancêtres dans le sens d’une invocation de Dieu, de la Trinité.
Si les chrétiens peuvent faire référence à leurs ancêtres, et ils le font, ils ne le font pas dans le sens d’un culte, d’une invocation comme à Dieu, mais comme souvenir, mémoire, hommage.
En somme, il est trop excessif d’affirmer que les religions autres que l’animisme explique pour une large part la situation de déconstruction de l’Afrique sur les six principes fondamentaux (théories, culture, idéologie, concept et histoire) cités dans l’audio.
Nous devons plutôt interroger davantage notre histoire et notre culture. Quand des Africains trahissent/tuent d’autres afin de gérer le pouvoir d’état comme le veulent certaines personnes externes. Lorsqu’il y a la mauvaise gouvernance, cela est-il lié au fait qu’on n’invoque pas nos ancêtres ou plutôt que nous avons délaissé notre culture ?
Le peuple occidental a été christianisé et le peuple arabe islamisé. Si ces deux peuples sont cités comme modèles d’authenticité culturelle, il faut aussi interroger le modèle africain qui a connu comme les autres l’évangélisation et l’islamisation, mais qui manquerait d’authenticité.

Alain TOMTEPAMBO du Burkina Faso : Étudiant de 3ᵉ année de théologie
à l’Espace de formation théologique en ligne
(EFTL)